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IA : Quelques propositions

Les circonvolutions du cerveau du penseur, en un labyrinthe de choix d’éthique biomédicale. Dessin sur carton-pâte de Bill Sanderson, 1997.
Début 2025, les politiques publiques, dirigeants et partis politiques s’expriment peu sur le sujet de l’I.A., qui est pourtant un phénomène dangereux et qui peut impacter des pans entiers de la société.
Nul besoin d’analyser les programmes des courants politiques au pouvoir en France, allant plus ou moins du Parti Socialiste aux Républicains en passant par les partis dits « centristes », qu’on peut jauger par les actes, et qui ont à peu près tous montré soit leur indifférence sur le sujet, soit leur soutien à un développement sans borne de l’intelligence artificielle, ne faisant preuve d’aucun recul ou d’aucune volonté de prendre du recul.
Si l’on s’intéresse aux partis plus à gauche du spectre politique, on constate que les partis les plus radicaux tels que le Nouveau Parti Anticapitalise (NPA) s’intéressent bel et bien au sujet1, en particulier sous le prisme de l’impact social de l’IA. La France Insoumise (LFI), un des seuls parti à aborder le sujet dans son programme2, s’intéresse de son côté au risque de l’usage de l’IA comme outil répressif et de contrôle des populations, mais aussi des biais divers liés à la fois à l’entrainement et à l’usage de l’IA, ou encore à son impact sur les auteurs et leurs droits. Étonnamment, on ne trouve trace des termes « intelligence artificielle » sur le site internet des écologistes (Europe Écologie Les Verts, EELV).
À l’extrème droite par contre, c’est la catastrophe. Aux côtés du développement du nucléaire aussi bien civil que militaire, l’intelligence artificielle est vue au Rassemblement National (RN) comme un domaine stratégique sur lequel s’appuyer pour « renouer avec une certaine excellence économique »3, d’autant plus que la France serait experte dans la collecte des données4. Autrement dit, un domaine dans lequel il faut investir sans compter. Jordan Bardella de son côté milite pour la supension du Green Deal européen5 notamment parcequ’il serait une entrave au développement de l’intelligence artificielle6. Il n’est en tout cas jamais fait mention d’un quelconque effet délétère des I.A. ni d’une quelconque mesure ou prudence à avoir ; le but est bien d’y aller tête baissée, en faisant sauter toute règlementation qui pourrait en ralentir le développement.
Quoiqu’il en soit, même à gauche où les propos se montrent un peu plus critiques envers l’intelligence artificielle, et en opposition à la course débridée à laquelle veulent se livrer les partis de droite et d’extrème droite, les prises de position sont rares sur le sujet, et les propositions encore plus. Voici quelques pistes de réflexions qui, sans prétendre à des applications concrètes et directes, peuvent donner matière à réflexion, en réponse aux nombreux impacts sociaux, économiques, environnementaux et philosophiques des intelligences artificielles.
Classer les intelligences artificielles
Une première étape pour tenter de remédier aux nombreux problèmes posés par les intelligences artificielles est de commencer par éclaircir ce que le terme I.A. recouvre, d’imposer plus de transparence de la part de ceux qui en font l’usage ; il faut savoir à quel type d’I.A. nous avons affaire, mais il faut pour cela qu’on ait systématiquement accès à plus de précisions.
Si l’I.A. est symbolique, elle n’est pas différente des outils informatiques, des applications habituelles que l’on rencontre depuis les débuts de l’informatique, et ne pose pas de problème différent, c’est-à-dire notamment les problèmes de consommations de matières premières, d’énergie et d’eau inhérentes à l’usage de l’électronique et dépendant des puissances de calcul et des quantités de données stockées et transmises. Ce sont là des données auxquelles nous, la société publique, devrions toujours avoir accès afin de pouvoir quantifier les impacts de nos usages, même et surtout dans le cas de l’informatique « dans le nuage » 7, dite (à tort) dématérialisée ou software as a service8.
Si par contre l’I.A. est statistique, ou inclut un aspect statistique, elle repose alors sur des réseaux de neurones, et il faut à ce moment-là aussi parler d’apprentissage automatique ou d’apprentissage profond. Il devient alors primordial de pouvoir quantifier l’impact de ces réseaux de neurones, aussi bien en terme environnemental, comme pour tout programme et serveur informatique, qu’en terme socio-économique et philosophique. Encore une fois, le minimum de transparence nécessaire de la part de tout développeur d’I.A. statistique serait de communiquer aussi bien le volume de données d’apprentissage utilisé, que le nombre de paramètres, le nombre de connexions dans le réseau de neurones. Nous pourrions ainsi classer les I.A. selon ces paramètres objectifs, en inférer un score, dont la méthode de calcul pourrait évoluer pour prendre en compte de nouveaux aspects, à la manière des scores nutritionnels utilisés pour l’alimentation par exemple.
Reprendre notre dû : la taxation de l’I.A.
Considérant que les I.A. statistiques reposent sur des données d’apprentissage qui représente un bien social, un bien commun ; considérant que cet accaparement de notre culture collective et que l’automatisation des tâches liée à son usage représentent une manière de capter une valeur sociale et économique, tout profit financier réalisé au moyen de l’I.A. devrait être taxé, et tout usage de l’I.A. devrait donner lieu à une cotisation sociale, dégageant des recettes publiques pouvant être démocratiquement réaffectées par exemple au financement de la culture9 et aux assurances sociales telles que l’assurance chômage ou l’assurance vieillesse. Une taxation serait aussi un moyen efficace de réguler le développement des I.A., de reprendre le contrôle sur son rythme. Répercuter les coûts réels des I.A. dans leur prix permettrait facilement aussi d’en limiter les usages, d’en éviter l’usage abusif et inutile.
Le lieu et la manière de mettre en place une telle taxation et ces cotisations, de dégager ces nouvelles recettes publiques, devrait donner lieu à un débat démocratique et international, mais urgent. Faut-il taxer les concepteurs d’I.A., les entreprises qui les distribuent et les mettent à disposition, et faire cotiser celles qui les utilisent ? De nombreuses méthodes sont possibles et complémentaires, et peuvent aisément être associées au score social et environnemental que nous proposons de donner à ces I.A. Le seul ingrédient manquant est une volonté politique ambitieuse.
Un rôle public
Extrapolant l’idée d’un contrôle démocratique via une taxation ou une cotisation sociale, ne faudrait-il pas purement et simplement se demander si le développement de grandes I.A. statistiques devrait être un domaine nécessairement public ; tout comme l’on peut considérer que des domaines stratégiques comme la sécurité, les communications, les transports, etc. nécessitent à minima un contrôle public, et démocratique, fort, les grandes I.A. statistiques ne pourraient-elles pas être ajoutées à cette liste ? Que l’on prête une quelconque oreille aux avertissements alarmistes sur l’émergence d’une intelligence artificielle générale posant un problème existentiel à l’humanité, ou qu’on s’intéresse plus pragmatiquement à l’impact social, économique et environnemental de ces I.A., on ne peut que tomber d’accord sur le fait qu’elles représentent un danger potentiel pour l’humanité qu’il serait légitime de ne pas vouloir laisser aux mains d’acteurs privés ne rendant de compte à personne, si ce n’est à leurs actionnaires.
Contrôler l’accès aux sources d’apprentissage des I.A. statistiques
En tout état de cause, les données d’apprentissage des intelligences artificielles statistiques représentent un nœud primordial dont l’accès et l’usage devrait être sévèrement régulé, en tant que bien commun.
Comment se fait-il que de grandes multinationales privées puissent en toute impunité se saisir de tout contenu disponible sur internet sans même chercher à en informer les auteurs, faisant fi de toute licence et de tout accord d’utilisation ? Quand bien même ces I.A. seraient alimentées par des données postées sur des réseaux détenus par des entreprises privées, est-il tolérable qu’en plus du prix payé par les utilisateurs pour l’accès à ces réseaux10, les entreprises en question puissent utiliser le contenu publié comme bon leur semble ?
Se passer de l’I.A.
La plupart des mesures qu’on imagine se heurteront aux frontières, aux puissants, aux riches, au détriment de la société et de la démocratie, c’est évident. Il paraît illusoire de vouloir stopper l’I.A., même si elle ne répond à aucun besoin qu’on aurait eu avant les années 2020. Si le fait de freiner les acteurs du développement des plus grandes I.A. statistiques et stupides nécessite une prise de conscience collective et une volonté politique forte, il ne parait pas complètement utopique d’y arriver ; aussi bien des régulations européennes, certes timides, ont pu être mises en place dans le domaine du numérique11, que des victoires de plusieurs États face à des réseaux sociaux ont pu avoir lieu12.
Rien n’empêche non plus, à l’échelle individuelle aussi bien que celle de l’entreprise, de refuser d’utiliser une I.A. pour rédiger un e-mail ou un compte rendu. A-t-on vraiment besoin de générer des dizaines d’images via une I.A. à chaque fois qu’on cherche une référence graphique alors que des banques d’images alimentées depuis plusieurs décennies, et internet en général, n’attendent qu’une petite recherche de notre part ? A-t-on réellement besoin d’une I.A. énorme pour transcrire le contenu d’une réunion, et d’une I.A. entraînée avec l’intégralité d’internet pour en faire la synthèse, pour vérifier l’orthographe d’un mot ou la justesse d’une traduction ? Est-ce un jouet anodin ?
Les travailleurs, les syndicats, devraient se saisir du sujet avant qu’il ne soit trop tard et refuser l’intelligence artificielle statistique comme les luddites13 ont refusé les machines qui faisaient plus vite et moins bien au début du 19ᵉ siècle.
Pourquoi ne pas introduire un principe de précaution dans le domaine numérique pour en freiner les évolutions trop rapides, et prendre le temps du recul et des études d’impact avant de se lancer à corps perdu dans des développements délétères ?
Qu’attend-on pour prendre conscience que le jeu n’en vaut pas la chandelle ? Que l’immense majorité des usages des intelligences artificielles statistiques est absolument injustifiable au vu ses conséquences sociales, économiques, écologiques et philosophiques ? À quel besoin impérieux répond l’I.A. qui justifierait ces conséquences ?
Soyons fiers de ne pas y toucher ; affichons fièrement le fait de créer et raisonner sans fainéantise et avec intelligence réelle.





- Lire par exemple Le Sommet de l’IA, les bourgeois contre les peuples.
Notons aussi les interventions d’Hubert Krivine, ancien physicien au Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques, et militant trotskiste. ↩︎ - Voir le programme proposé pour les européennes 2024, page 104. ↩︎
- Lire cette tribune de Thibaut de la Tocnaye. ↩︎
- Lire cette autre tribune de Thibaut de la Tocnaye. ↩︎
- Le « pacte vert européen » ayant pour objectif la neutralité carbone en 2050. ↩︎
- Lire ce communiqué du Rassemblement National. ↩︎
- Cloud computing. ↩︎
- SaaS, logiciel distant et loué, à la demande. ↩︎
- Entendue comme culture générale et non pas seulement artistique, incluant notamment et de manière non exhaustive la culture politique, syndicale, populaire… ↩︎
- Que ce soit un prix monétaire ou d’autres moyens comme la publicité. ↩︎
- Une des plus importantes de ces régulations est par exemple le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). ↩︎
- Un exemple en 2024 : le Brésil a réussi à faire plier le réseau social X pour appliquer ses règlementations après quelques jours de blocage du réseau. ↩︎
- Le « luddisme » est le nom donné à un violent conflit social de 1811-1812 opposant des artisans (tondeurs, tricoteurs…) aux employeurs et manufacturier voulant employer des machines (notamment des métiers à tisser) permettant de faire plus vite et moins bien. Les luddites se sont attaqués à ces machines avant de faire face à une répression violente, mais le luddisme aura nourri les autres mouvements ouvriers qui ont suivi au 19ᵉ siècle. ↩︎
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